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Cameroun: pourquoi les évêques critiquent-ils le régime à un an de l’élection présidentielle?
À titre individuel, ou dans le cadre des démarches collectives, les prélats multiplient et renforcent des prises de position très critiques en direction du régime de Paul Biya, 92 ans dont 42 au pouvoir, et qui n’exclut pas de briguer un énième mandat à la tête du pays. Parmi les dossiers préoccupants : la crise sécuritaire dans les régions anglophones, la crise économique, la corruption. L’exaspération est telle que certains évêques voient d’un mauvais œil une éventuelle candidature de l’actuel chef de l’État à l’échéance électorale attendue.

Le spirituel contre le temporel. En quelques jours, le ciel, jusque-là apparemment sans nuages entre le pouvoir de Yaoundé et les évêques du Cameroun, a viré au gris. Trois sermons et autant de coups de semonces auront suffi pour laisser transparaître le malaise. Le 25 décembre 2024, Mgr Samuel Kleda, archevêque de Douala, explique, sans ambages, qu’une candidature de Paul Biya à l’élection présidentielle prévue en 2025, « n’est pas du tout réaliste ».
Quatre jours plus tard, Mgr Emmanuel Abbo, évêque de Ngaoundéré dans le Nord, préoccupé par les souffrances des populations qui ne semblent pas émouvoir les autorités du pays, lâche : « La plus grande souffrance est qu’on interdit aux Camerounais d’exprimer leurs souffrances en leur promettant que l’État est un rouleur compresseur, un Moulinex qui réduira à la pâte tout Camerounais qui oserait exprimer sa souffrance ». Allusion claire à des propos tenus officiellement, quelques mois auparavant, par Paul Atanga Nji, le ministre de l’Administration territoriale, connu pour ses outrances verbales.
Le 31 décembre 2024, c’est au tour de Mgr Barthélémy Yaouda Hourgo, jusque-là connu comme un « modéré », d’exprimer son ras-le-bol. « On ne va pas souffrir plus que ça. On a déjà souffert. Le pire ne viendra pas. Même le diable, qu’il prenne d’abord le pouvoir au Cameroun, et on verra après », s’emporte l’évêque de Yagoua, dans la partie septentrionale du Cameroun, en proie à un manque criant d’infrastructures de base.
Diversement interprétées, ces sorties individuelles des prélats ont un point commun : elles expriment le besoin d’une nouvelle gouvernance au Cameroun. « Ces évêques posent un problème qui est moral, avant d’être politique : le président de la République est âgé, et après 42 ans au pouvoir, il est utile qu’il laisse la place à quelqu’un de plus jeune, quitte à le choisir dans les rangs du RDPC [Rassemblement démocratique du peuple camerounais, au pouvoir, NDLR] », décode le professeur Jean-Paul Messina, spécialiste de l’histoire des religions et habitué des coulisses de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun (CENC).
Un « Grand dialogue national » pour rien ?
Mais le discours critique des prélats à l’endroit des dirigeants camerounais va au-delà de la perspective de la prochaine élection présidentielle et des prises de position individuelles. Dans leur « Message » du 11 janvier 2025, les évêques, se prononçant en tant que CENC, s’attaquent à divers sujets. L’un des principaux a trait à la crise sécuritaire qui secoue, depuis fin 2016, les zones anglophones du pays, où les forces de défense continuent à faire face à des séparatistes armés considérablement affaiblis et à des bandes armées.
Et ce, malgré la tenue du « Grand dialogue national » instruit par le président Paul Biya, du 30 septembre eu 4 octobre 2019. « Ne serait-il pas temps pour la classe politique de s’asseoir dans l’humilité et de dialoguer sereinement en pensant à sa responsabilité de conduire notre peuple, notre pays vers le bonheur qui passe par la justice, le pardon et la réconciliation ? », s’interrogent les prélats, semblant ainsi faire chorus avec une opinion qui considère le « Grand dialogue national » comme une occasion manquée.
Dans le même document, ils rappellent les termes de leur « Lettre sur la crise économique que vit le Cameroun », publiée en 1990, et constatent, désabusés : « Malheureusement, 35 ans après la sonnette d’alarme sur la crise économique, et 65 ans après l’accession à l’indépendance, force est de constater que nous continuons à vivre dans le marasme économique et social, et dans l’incertitude de l’avenir ». Et encore : en échos à leur « Lettre pastorale » de 2000 « sur la corruption », les évêques, égrenant un impressionnant chapelet de défis, affirment, amers : « Le plus grand de ces défis est la corruption avec ses corollaires de détournements, de manque de transparence. »
Discours constant et notoirement virulent, mais insatisfaisant aux yeux de certains. « Les évêques ont fait un diagnostic sans complaisance de la situation sociale grave du Cameroun et c’est le mérite principal de leur document. Mais je pense qu’ils n’ont pas eu le courage d’en tirer toutes les conclusions dont, entre autres, la nécessité de changer le cap après 42 ans du système RDPC », regrette le Jésuite Ludovic Lado, un critique connu du régime Biya.
En attendant de savoir si elle publiera avant la prochaine élection son quasi traditionnel message ad hoc, la CENC affirmait déjà en 2000 : « La perspective d’une saine alternance à la tête des institutions de la République constitue aujourd’hui une forte préoccupation pour les citoyens désireux de vivre dans un authentique État de droit. »
Des relations « distantes » avec le pouvoir
Faut-il pour autant conclure que les relations avec Paul Biya, fils de catéchiste et ancien séminariste, sont irrévocablement houleuses ? « Je dirais qu’elles sont distantes. Ça fait longtemps que Paul Biya n’a pas reçu les évêques en tête-à-tête, malgré leur souhait depuis la crise anglophone. Mais il est difficile de savoir si c’est le président qui ne veut pas ou si c’est son entourage qui filtre et bloque », analyse Ludovic Lado.
« D’une manière générale, le président Biya respecte l’épiscopat, je dirais même l’Église. Une preuve parmi d’autres : l’existence de l’accord-cadre sur le statut juridique de l’Église catholique du Cameroun. Il reste respectueux de la hiérarchie catholique à qui il accorde des attentions en privée et de manière discrète », nuance Jean-Paul Messina. Avant de révéler : « Mais ses collaborateurs n’ont pas toujours été disposés à avoir de bonnes relations avec l’Église, d’autant que certains d’entre eux ont des orientations spirituelles différentes. »
Quoi qu’il en soit, il existe des « dossiers » sur lesquels les malentendus n’ont pas été dissipés entre le régime de Paul Biya et l’Église catholique du Cameroun. Il en est ainsi des assassinats non officiellement élucidés des figures de l’Église catholique, au rang desquelles Mgr Jean-Marie Benoît Balla en 2017, et avant lui, Mgr Yves Plumey en 1991, respectivement évêques de Bafia (près de Yaoundé), et de Ngaoundéré. Sujet embarrassant pour les deux parties : « On annonce des enquêtes, mais on ne rend pas publics les résultats. Le silence des autorités étatiques et celui de l’Église peut amener à s’interroger », observe Jean-Paul Messina. Les voies de Dieu sont réputées insondables, dit-on. Celles de la politique le sont parfois aussi.
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